• Anne-Marie Chartier : discours de la Méthode (15 décembre 2007)

    « La méthode n’est pas ce qu’on croit ! »

    Anne-Marie Chartier

    Rebondissant sur la polysémie du mot «méthode », Anne-Marie Chartier entend le prendre «au sens où il est utilisé par le terrain », celui de manuels d’apprentissage de la lecture.

    Lorsqu’elle regarde les outils utilisés dans les familles au cours de l’histoire, en 1810, elle se rend compte que de nombreux élèves des milieux populaires de cette époque ont appris à lire avec des abécédaires de quelques pages. Les familles plus riches, qui peuvent accéder à des ouvrages plus conséquents, utilisent des ouvrages sans texte, mais avec les déclinaisons de toutes les syllabes possibles.

     

    Page d'Anne-Marie Chartier sur le blog.

     

    source : http://www.cafepedagogique.net

     


    Les premiers manuels scolaires, sous Guizot (1931), font place aux « exercices », mais gardent la même organisation : lettres, syllabes, textes syllabés, puis textes ordinaires.
    Dans la même période, le « Peigné » utilise déjà une autre manière de faire, qui va durer près de 100 ans. Il y est explicitement écrit ce que doit faire le maître (ou le « moniteur »), et montre sur des doubles pages des associations de lettres et des textes syllabés. On fait des « révisions » en revenant sur ce qui a été travaillé dans les séances précédentes.

    La révolution technologique

    Le premier « livre » de 1883 fait une place remarquable au i, au n, au u, au m, lettres faciles à graphier depuis qu’on a inventé les plumes métalliques, les ardoises, les crayons, les craies... On couple la lecture et l’écriture, en présentant simultanément la cursive et l’imprimerie. Apparaissent aussi les vignettes (le n de nid), les cahiers d’écritures où on copie des syllabes, des mots réguliers ou irréguliers…

    Les premières méthodes analytiques arrivent : on part de papa pour décomposer les syllabes, puis les lettres.
    La méthode « Boscher (1907) sera rééditée jusqu’à nos jours au nom du fait qu’elle serait une vraie « méthode syllabique », mais utilise comme premier texte « La petite poule rousse », conte de randonnée dont la lecture est surtout globale (voir plus bas)…

    Les premières méthodes « globales » sont publiées (1924) en écriture cursive, puisqu’on apprend l’analytique en écrivant. Le passage aux caractères d’imprimerie se fait seulement en fin d’ouvrage. Elle n’aura aucun succès, la seule méthode utilisée en France étant la méthode « naturelle » de Freinet.

    « Rémi et Colette » est la première méthode qu’on pourrait qualifier de « mixte », comme dans son rival « Papa fume la pipe ». La page de gauche est divisée (petit texte en haut, analyse en bas, texte et exercices sur la page de droite).

    Comment a-t-on pu apprendre à lire avec les abécédaires ?

    Anne-Marie Chartier ose une hypothèse qui décoiffe : elle pense que c’est parce que les élèves de l’époque pouvaient s’entraîner sur des textes (Pater Noster), qu’ils pouvaient réciter dans leur tête à leur guise. « On est dans une procédure d’analyse progressive d’un texte connu par cœur ». La question du « sens » est paradoxalement déjà présente : le texte doit être connu littéralement pour permettre d’entrer dans la syllabation.
    Mais dans les manuels des enfants de milieu cultivé, on  a l’idée qu’on ne peut s’appuyer que sur le « hasard » des syllabes présentes dans le texte rencontré. On doit « savoir tout lire » : c’est ce qui explique, dans la méthode utilisée par les plus fortunés, ces dizaines de pages de syllabes de plus en plus compliquées qui recensent tous les cas possibles dans la langue.

    « Mais l’enquête historique que j’ai faite me prouve que c’est le couplage lecture/écriture simultané qui donne de grands résultats, notamment en permettant d’accélerer l’apprentissage ». Les républicains de 1882 ont engrangé les avancées didactiques du Second Empire, et commencé à pensé que la lecture pouvait devenir le moyen d’accéder au savoir dans les autres disciplines. Mais c’est une autre histoire : celle du collège. C’est aussi le début d’un nouvel échec scolaire : les difficultés de l’accès à la production d’écrit."N’oublions jamais que les « crises de la lecture » sont la marque des progrès : Victor Duruy, 40 ans après la diffusion à un million d’exemplaires du manuel de Guizot, affirmait que 40% des élèves sortaient analphabètes de l’Ecole…"  

    Sur le site du Café
     
    Par ppicard3 , le samedi 15 décembre 2007.

    http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/primaire/elementaire/Pages/2007/88_elem_lect_bulten.aspx

    Max Bulten : les connaissances, mais... 

     Au cours du siècle, des moments-clés pour mesurer l’état des savoirs...
    Max BultenPour le chercheur, les trente dernières années sont marquées par un triple mouvement : dans les années 70/80, les idées des chercheurs de l’INRP semblent majoritaires, mais sont progressivement interrogées par l’université. Enfin, c’est la formation et la recherche qui produisent de nouveaux savoirs pour comprendre ce qui se passe dans la classe.



    Au cours de l’histoire récente, le travail de compréhension sur ce qui se passe à l’Ecole s’est progressivement structuré autour de trois grandes pistes :

    - les savoirs sur les connaisssances
    - les processus d’acquisition des connaissances
    - les pratiques de classe


    Rouchette : les savoirs disciplinaires
    En 1971, la commission Rouchette va chercher à comprendre comment adapter les savoirs à enseigner aux nouveaux publics. Le « plan Rouchette », du nom de l’inspecteur général qui pilotait les travaux, sera l’objet d’une polémique mémorable. On distingue alors trois courants d’influence, qui pèsent toujours :

    -    pour certains, « il faut mettre l’accent sur la communication ». C’est l’apport essentiel du mouvement Freinet, pour réduire l’espace entre la langue des enfants et la langue écrite.
    -    Pour d’autres, il faut tirer les conséquences des recherches sur la docimologie : adapter les contenus enseignés aux possibilités réelles des élèves. Cette orientation va croitre avec le recours grandissant des évaluations nationales et internationales
    -    On constate aussi l’apport de la linguistique structurale. Les travaux sont encore balbutiants : Chomsky, les arbres, Genouvrier…

    La commission remet en cause la « pédagogie traditionnelle » qui ne peut répondre à la démocratisation, répondant par le redoublement aux difficultés des élèves des milieux populaires. Le plan Rouchette fait des hypothèses concrètes sur la lecture :

    -    nécessité d’apprentissages premiers sur 3 ans (cycle)
    -    condamnation du redoublement précoce au CP
    -    articulation parler/lire/écrire , travail sur le sens et le code (combinatoire)
    -    étayage culturel par le maître, pour les aider à parler la langue de l’école
    -    rôle respectifs de la lecture silencieuse et de la lecture à heute voix
    -    présence de bibliothèques de classe, accès à la littérature.

    On a donc l’idée d’expérimenter, avec Hélène Romian et l’aide les enseignants des écoles d’application et des IEN. On veut approfondir les préssentiments, associer la recherche et les écoles, évaluer. Mais on ne va pas échapper à l’applicationnisme : puisqu’on connaît l’objet à enseigner, on veut modifier l’enseignement. On apprend aux enseignants la phonologie, la syntaxe chomskienne pour la grammaire. Et on postule que ce qui vaut pour former les connaissances des enseignants doit se traduire dans les manuels à destination des élèves…
    Des associations, des revues se fondent : « Repères », l’AFEF, « le français aujourd’hui ». L’objectif est de peser sur le plan Rouchette. La volonté didactique est d’instaurer la continuité de l’enseignement du français, de la maternelle à la fin de la scolarité. Apparaît la question de la « lecture littéraire » qui ne sera reprise que dans les programmes de 2002.

    Beullac cherche la synthèse
    Sept ans après les instructions de 1972, qui avaient repris certaines des idées du Plan Rouchette, le ministre Beullac ouvre un nouveau point de synthèse : on cherche le rapport entre la lecture visuelle et la combinatoire, on cherche à mesurer les effets entre les méthodes, à comprendre le rôle des aides par les écritures simplifiées, on réintroduit la vieille méthode Borel-Maisonny. Plusieurs courant s’opposent toujours, et Louis Legrand écrit que « par delà des raffinements des savoirs issus de la recherche, on ne peut qu’être frappés par les querelles entre les partisans de la méthode globale et de la méthode syllabique ».


    Les années 80 voient ces idées se répandre dans les pratiques, mais c’est désormais l’Université qui bouscule les premiers didacticiens de la lecture. Charmeux, Foucambert, Chauveau… produisent des articles ou des manuels, mais la recherche se fait ailleurs. L’INRP devient de plus en plus marginalisée dans la recherche.



    De la Villette à la Conférence de consensus sur la Lecture (2002), plusieurs idées avancent :

    -    la lecture ne passe sans doute pas que par l’œil
    -    on se préoccuper de réhabiliter l’oral ou la lecture à haute voix
    -    on interroge la pertinence des activités de fichiers de lecture silencieuse qui laissent parfois les élèves sans aide
    -    la « conscience phonologique » émerge de plus en plus, notamment sous l’influence des recherches anglo-saxonnes
    -    on fait les premiers retours sur les insuffisances des formations qui sous-estiment le travail debas niveau au motif de l’importance du « complexe » ou de la « résolution de problème…
    -    on réhabilite les manuels qui sont des outils économiques pour les enseignants
    -    on analyse des statégies de lecture, place des erreurs dans les apprentissages
    -    on comprend de mieux en mieux la nécessité de travailler de front l’écriture, la lecture, la compréhension, les textes courts et les textes longs, les supports différenciés…
    -    bref, on progresse dans l’idée qu’il faut apprendre aux élèves à comprendre l’implicite, le système de temps, de personnages, savoir qui est qui, qui fait quoi, qui parle à qui, pour faire quoi… Et que l’Ecole doit apprendre à reformuler, débattre pour rendre visible ce qui est invisible, sauf au lecteur expert : la lecture doit avoir pour objectif l’explicitation des textes…

    Et aujourd’hui, au-delà des polémiques… le travail de l’enseignant...
    « Aujourd’hui, un consensus n’est-il pas en train de se dessiner autour de ces points, en dissipant les malentendus et en faisant quelques éclaircissements : ne fait-il pas différencier les supports pour apprendre le code et appendre la compréhension, pour éviter la surcharge cognitive ? » plaide Max Bulten. « Mais la connaissance de l’objet à enseigner n’est pas suffisante : il faut connaître les caractéristiques, mais aussi comprendre comment se fait l’apprentissage, et l’inscrire dans un fonctionnement possible pour l’enseignant ».

    Pour lui, « connaître Gombert et la didactique ne suffit pas pour penser la classe » : il faut observer le travail effectif de l’enseignant, voir ses pratiques, voir comment évoluent les savoirs sur la pratique, comprendre le «geste professionnel»… Il souligne les apports de la psychologie ergonomique et de toutes les équipes qui s’appuient aujourd’hui sur ses bases pour aider les enseignants.
    « Mais attention de ne pas appliquer Yves Clot sans se préoccuper des contenus… » : en un clin d’œil malicieux à la salle, le formateur sait qu’il faut se prémunir de voir dans les acquis récents des recherches le remède à tous les maux, en balayant les savoirs anciens d’un revers de main. Michel Fayol n’a pas dit grand chose de différent, quelques heures plus tôt…
    ...et celui du chercheur...
     Comme en guise d’un bilan qui n’oublierait pas de balayer devant sa porte, Max Bulten revient sur les trajectoires de vie qui ont été celles de nombreux « chercheurs » de l’INRP :
    « Une des seules questions qui vaille est sans doute de différencier le travail scientifique de l’engagement militant : observer sans concession les résultats de son action est essentiel pour l’innovateur. De ce point de vue, la mise en place des évaluations nationales devrait mobiliser l’ensemble des enseignants, plutôt que de chercher à travailler avec des équipes choisies…
    Mais il faut tenir toujours plus de choses ensemble… Bon courage… »
    Sur le site du Café
     
    Par ppicard3 , le samedi 15 décembre 2007.
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