• De Robien, Discours lors du séminaire national sur la lecture (9 mars 2006)

    Le séminaire national organisé par la direction de l'enseignement scolaire sur l'apprentissage de la lecture, qui s'est tenu jeudi 9 mars 2006, réunissait les recteurs, les inspecteurs, notamment les inspecteurs généraux, et les directeurs d'IUFM. À cette occasion, Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, a fait le point sur les implications et la mise en œuvre de la circulaire « Apprendre à lire » qui doit être « transmise, expliquée et appliquée partout en France, pour permettre vraiment la réussite de tous les élèves ». Le ministre a notamment insisté sur la nécessité de mieux former les maîtres aux apprentissages premiers de la lecture et de renforcer l'efficacité de l'évaluation des élèves.

    Seul le prononcé fait foi

    Mesdames et Messieurs les recteurs,
    Mesdames et Messieurs les inspecteurs généraux,
    Mesdames et Messieurs les directeurs,
    Mesdames et Messieurs les inspecteurs,
    Mesdames et Messieurs,

    Nous sommes ici pour préparer la réussite de tous les enfants qui entreront en C.P. en septembre prochain. C'est à eux que nous devons penser aujourd'hui, c'est à eux que j'ai pensé en organisant ce séminaire sur la lecture.

    Car je veux vous dire aujourd'hui ma conviction :
    Le ministre de l'Education nationale travaille d'abord pour la réussite des élèves.

    Ce que l'on fait à l'école, ce que l'on y apprend, les résultats que l'on y obtient, l'évolution des méthodes et des contenus, tout cela intéresse le ministre de l'Education nationale.

    Nous ne sommes pas là seulement pour « gérer la machine », pour gérer des statuts, des effectifs et des crédits !


     

    Notre première mission -celle que les citoyens considèrent à juste titre comme la plus importante- c'est d'assurer l'efficacité du système éducatif dans son rôle d'instruction des enfants.

    Fort de cette conviction, j'ai voulu traiter la question de la lecture. Mais je ne m'en tiens pas là : je parlais hier de la grammaire et de l'orthographe devant l'Observatoire national de la lecture ; avant-hier, je parlais des contenus et des méthodes de l'enseignement des sciences devant une commission d'information parlementaire. Dans quelques jours, le Haut Conseil de l'Éducation me rendra son avis sur le socle commun de connaissances.

    Je souhaite que le socle soit à la fois centré sur l'essentiel et d'un bon niveau d'exigence.

    Le ministre est dans son rôle lorsqu'il se préoccupe des résultats des jeunes que la Nation nous confie.

    J'en viens à présent à l'objet de ce séminaire.

    Mon but, en organisant cette journée, était très simple : faire le point sur ce qu'implique la circulaire « Apprendre à lire » que je vous ai adressée le 3 janvier dernier.

    Oui, faire le point , de la manière la plus précise, pour que cette circulaire soit transmise, expliquée et finalement appliquée partout en France, pour permettre vraiment la réussite de tous les élèves.

    L'idéal bien sûr, serait de pouvoir avoir ici, dans cette salle, toutes les institutrices et tous les instituteurs de France ! Ce n'est évidemment pas possible ! Mais je ne perds pas de vue qu'ils sont les premiers concernés par notre séminaire d'aujourd'hui. Et en cet instant, c'est aussi à eux que je pense. Et en m'adressant à vous, c'est aussi à eux que je m'adresse.

    A toutes les institutrices, à tous les instituteurs, à tous les professeurs d'école de France, je veux adresser aujourd'hui un message de confiance ! Cette circulaire n'est pas une manière de remettre en cause leur travail ! Il s'agit bien au contraire de conforter les enseignants dans leur mission, de les appuyer dans leurs efforts, de rassurer ceux qui craignaient d'enseigner selon les leçons de leur expérience ! Il était aussi de mon devoir de ministre de la Recherche de tirer les conclusions des travaux des scientifiques.

    Il s'agit enfin de répondre à une demande de clarification, qui s'est faite entendre jusqu'au ministère.

    Je ne reviendrai pas sur les considérants scientifiques qui ont motivé cette circulaire. Je crois que ce matin les spécialistes, que je remercie vivement de leur présence, ont fait la lumière sur cette question. L'enseignement systématique et précoce du déchiffrage est la méthode la plus efficace pour apprendre à lire à un enfant.

    Systématique, c'est-à-dire progressif, exhaustif, organisé.

    Précoce, c'est-à-dire dès les premiers jours du C.P., et tout au long des premiers mois de cette classe.

    J'ajoute que cette méthode est particulièrement efficace lorsqu'on enseigne à des enfants fragiles ; je pense en particulier à certains élèves de l'éducation prioritaire…

    Je crois simplement qu'il fallait que ces choses soient enfin dites une bonne fois, sans ambiguïté et sans toutes les confusions terminologiques qui ont semé le trouble dans les récentes années. La question de la lecture ne doit pas relever d'une querelle idéologique, ni d'une querelle de mots.

    Vous l'aurez d'ailleurs compris, il ne s'agit pas d'une « révolution » ! Il s'agit simplement de préconiser la pratique journalière, dès le début du CP, d'activités d'apprentissage systématique des correspondances entre les graphèmes et les phonèmes.

    Cela implique d'écarter résolument la mémorisation globale précoce de mots entiers, qui ne sont pas lus, mais « devinés ». La lecture qui procède par hypothèse, ce n'est pas de la lecture . C'est une méthode qui doit être écartée résolument.

    Le but du cours préparatoire, c'est de permettre à tous les élèves une compréhension précise et sûre de phrases et de petits textes se fondant sur la maîtrise parfaite du code alphabétique.

    Sur ce point précis, je rappelle que les programmes prévoient que chaque jour les élèves doivent lire et écrire pendant deux heures et demie au cycle II et deux heures au cycle III. Les inspecteurs doivent absolument veiller à faire respecter ces consignes.

    Que ce but soit atteint, et que chacun puisse donc bénéficier des meilleures méthodes, c'est un impératif absolu de justice !

    Un impératif qui doit unir la Nation tout entière, au-delà de tous les clivages qui parcourent la vie politique républicaine. J'en suis tellement convaincu que je citerai Jaurès s'adressant aux instituteurs en 1888 :

    « Il faut d'abord que vous appreniez aux enfants à lire avec une facilité absolue, de telle sorte qu'ils ne puissent plus l'oublier de la vie et que, dans n'importe quel livre, leur œil ne s'arrête à aucun obstacle. Savoir lire vraiment sans hésitation, comme nous lisons vous et moi, c'est la clef de tout. Vous ne devez pas lâcher vos écoliers, vous ne devez pas, si je puis dire, les appliquer à autre chose tant qu'ils ne seront point par la lecture aisée en relation familière avec la pensée humaine. »

    On ne saurait mieux dire.

    Apprendre à lire, de manière sûre et précise à tous les enfants, c'est la première des missions civiles de l'Etat. Sans cela, l'idée d'égalité des chances n'est plus qu'un mot, qu'un rêve, qu'une formule hypocrite ! Et sur ce point, nous n'avons pas seulement une obligation de moyens, nous avons une obligation de résultat !

    Donner à tous, sans exception, le meilleur enseignement, reconnu par l'expérience et aujourd'hui par la science, c'est le premier devoir de l'institution scolaire.



    Si nous ne le faisons pas, eh bien, il se passe ce que nous savons trop bien : c'est la maison, ce sont les parents, les cours particuliers, bref, l'argent et la naissance qui font la différence. Comme le disait Jules Ferry : « Si la société moderne ne visait pas à séparer l'éducation de la fortune, c'est-à-dire du hasard de la naissance, elle retournerait tout simplement au régime des castes. »

    Et alors dans ce cas, dès le début, dès les premiers pas, dès les premières années de l'école, c'est tout l'idéal républicain qui s'écroule, nos valeurs et nos discours qui deviennent menteurs !

    Avant d'en venir aux modalités d'application, je voudrais répondre à quatre questions, qui se poseront naturellement.

    Première question :

    Le déchiffrage empêche-t-il l'accès au sens ?
    Bien sûr que non !
    Le déchiffrage a un but : la lecture précise des mots, l'accès assuré au sens des mots, la lecture respectueuse des textes.
    Il ne s'agit pas de s'en tenir à des dictées de syllabes dépourvues de signification, ni à épeler des mots !
    Ce n'est pas ce que dit la circulaire « Apprendre à lire » !

    Sur ce sujet, je me range à l'avis du Professeur Alain Bentolila :

    « Contrairement à ce que l'on a seriné aux instituteurs pendant trente ans, ce n'est pas le fait de déchiffrer qui est responsable d'une lecture dépourvue d'accès au sens, mais c'est le déficit du vocabulaire oral qui empêche l'enfant d'y accéder. »

    Autrement dit, les enfants qui arrivent à l'école primaire avec un lexique réduit à 500 mots pourront apprendre à lire, mais ils ne comprendront pas ce qu'ils lisent, pour une raison toute simple : les bruits qu'ils prononceront n'auront pas de sens pour eux, parce qu'ils n'ont pas assez de vocabulaire !

    Il faut donc apprendre beaucoup de vocabulaire aux enfants dès la grande section de maternelle. J'ai suggéré dans la circulaire de faire apprendre quotidiennement aux élèves un ou deux mots nouveaux. Une pratique simple pour favoriser par l'école l'égalité d'accès à notre langue. Et je pense qu'il faut avoir ce souci dès l'école maternelle.

    Deuxième question souvent posée : y a-t-il contradiction entre la circulaire et les programmes de 2002 ?

    Je réponds que le programme de 2002, bien qu'il ait insisté sur l'apprentissage du code alphabétique, ne tranchait pas la question de manière extrêmement claire. Un paragraphe, en particulier, tout en insistant sur les défauts graves des méthodes à départ global, ne les écartait pas résolument. Il dit en effet que le choix des méthodes globales ou idéo-visuelles « comporte plus d'inconvénients que d'avantages : qu'il ne permet pas d'arriver rapidement à une reconnaissance orthographique directe des mots, trop longtemps appréhendés par leur signification dans le contexte qui est le leur plutôt que lus ».

    Mais il indique plus loin : « Il appartient aux enseignants de choisir la voie qui conduit le plus efficacement tous les élèves à toutes les compétences fixées par les programmes ».

    Ce paragraphe est terriblement ambigu. Il peut donner lieu à d'interminables controverses interprétatives.

    Si ces approches de la lecture sont mauvaises, si elles présentent un danger pour certains enfants, alors il faut les écarter : il faut mettre un terme à ce flou. Il faut donner des indications claires aux enseignants, pour qu'ils ne soient pas accusés d'avoir choisi de mauvaises méthodes. J'ai donc décidé de modifier ce paragraphe des programmes : le C.S.E. en sera saisi mardi prochain.

    Je tiens ici à préciser un point : cette modification donne tout son sens à la notion de cycle des apprentissages fondamentaux : en grande section de maternelle, l'enfant commence à appréhender la relation entre les sons et les signes graphiques et il apprend du vocabulaire pour enrichir son lexique mental ; au C.P., il assimile de manière systématique la technique du décodage qui le conduit à la lecture et à la compréhension de ce qu'il lit ; en C.E.1, il affermit cet apprentissage et lit des textes plus longs.

    Troisième question : vais-je interdire des manuels ?

    Je crois que le problème ne se pose pas en ces termes.

    Il ne s'agit pas d'interdire. Il s'agit simplement de faire entendre un message fort et clair à l'ensemble des acteurs concernés : les professeurs, les éditeurs, les parents d'élèves et les maires, qui achètent les livres.

    Une fois ce message entendu, j'ai confiance dans le bon sens des uns et des autres. Il est évident que travailler avec un manuel inspiré par la méthode préconisée par la circulaire sera plus efficace que le contraire !

    Je ne doute pas, au demeurant, que les éditeurs auront à cœur de mettre en pratique les orientations désormais clairement exposées pour une bonne pédagogie de l'apprentissage de la lecture…

    Cela n'empêchera nullement la créativité, l'inventivité, bien au contraire.

    Dans l'immédiat, pour que chacun puisse mieux se repérer, et évaluer les différents manuels, j'ai demandé à l'Observatoire national de la lecture de mettre au point une grille comparative des différents manuels existants.

    Le Président de l'O.N.L., Erik Orsenna, m'a confirmé hier que ce document serait disponible d'ici la fin du mois d'avril.

    Quatrième question : cette circulaire porte-t-elle atteinte à la liberté pédagogique ?

    Ma réponse est clairement non.

    Je vous rappelle que la liberté pédagogique a été reconnue par une loi -la loi d'orientation sur l'école- qu'a fait voter mon prédécesseur. Et cette loi dit ceci (art. 48) : « La liberté pédagogique de l'enseignant s'exerce dans le respectdes programmes et des instructions du ministre chargé de l'Education nationale […] avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d'inspection. »

    Permettez-moi d'ajouter, parce que c'est un principe fondamental de notre démocratie, que les autorités administratives (recteurs, membres des corps d'inspection, directeurs d'IUFM) exercent leur mission de service public en mettant en œuvre les instructions du ministre. C'est leur responsabilité naturelle.

    J'en viens précisément à la mise en œuvre de la circulaire « Apprendre à lire ».

    Je souhaite d'abord que ce texte, en lien avec les programmes officiels, constitue la structure même de la formation des maîtres en matière de lecture. Et ce, dès maintenant.

    Je vous demande donc, mesdames et messieurs les directeurs d'I.U.F.M. -et mesdames et messieurs les professeurs- de mobiliser dès à présent vos équipes.

    J'ajoute que dans le cadre de la redéfinition du cahier des charges de la formation des maîtres, l'apprentissage de la lecture et de l'écriture fera l'objet d'exigences précises, en horaires et en contenus.

    Je demande aux recteurs et aux directeurs d'I.U.F.M. d'aborder dans un prochain conseil d'administration de leur institut le sujet de la place et du temps consacrés à l'apprentissage de la lecture dans la formation des maîtres.

    Ensuite, mesdames et messieurs les recteurs, mesdames et messieurs. les inspecteurs d'académie, mesdames et messieurs. les inspecteurs de l'éducation nationale, il est impératif que dans le cadre de la formation continue, les professeurs des écoles déjà en poste soient accompagnés et conseillés, car l'apprentissage de la lecture demande des savoir-faire pédagogiques et des connaissances précises. Il est nécessaire également qu'ils soient mieux informés des fondements scientifiques de la circulaire.

    C'est là la priorité absolue. La formation des maîtres aux apprentissages premiers de la lecture doit figurer en tête de vos préoccupations pédagogiques. Il me semble qu'un tiers au moins des moyens de formation continue réservés aux professeurs des écoles en 2006 devrait y être affecté. Je souhaite également que vous soyez particulièrement attentifs à la qualité de cette formation.

    J'ajoute que pour servir de support aux actions d'information et d'explication, que je vous ai demandé de conduire en prolongement de ce séminaire, un D.V.D., élaboré par le C.N.D.P., sera largement diffusé. Il sera prêt vers le 15 mai.

    Par ailleurs, je demande à la DESCO et à l'Inspection générale d'organiser rapidement, pour les inspecteurs du premier degré, un séminaire d'études sur la découverte de la langue à l'école maternelle. C'est là une question très importante. Car il convient de rendre cohérente la formation reçue en maternelle et celle qui est donnée au C.P.. Une réflexion approfondie et opérationnelle est nécessaire sur différents points ; je pense en particulier à : l'apprentissage du code oral et du code écrit, l'apprentissage du vocabulaire, l'apprentissage de la compréhension des textes.

    Enfin, vous le savez, c'est un corollaire indispensable, nous devons renforcer l'efficacité de l'évaluation des élèves. Certains spécialistes m'ont recommandé d'organiser une évaluation en fin de cours préparatoire. J'ai décidé, dans un premier temps, d'avancer l'évaluation des compétences en lecture du C.E.2 au début du C.E.1 et de mettre en place des programmes personnalisés de réussite éducative pour les élèves qui n'auraient pas le niveau requis pour leur âge. Ce sera fait dès la rentrée.

    Mesdames et Messieurs,

    Vous l'aurez, je crois, très bien compris, cette journée marque la deuxième étape de mon action sur la lecture. Après la décision vient le temps de l'application.

    Je vous dis ici ma confiance. Nous retrouvons là les fondements mêmes de notre Ecole : sa mission première, sa mission la plus essentielle.

    Nous avons le devoir de réussir.

    Je vous remercie.

     

    source : http://www.education.gouv.fr/cid874/-apprendre-a-lire-a-l-ecole-primaire-seminaire-national-de-la-direction-de-l-enseignement-scolaire.html

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    Voir aussi :
    le dossier du séminaire national de la direction de l'enseignement scolaire.

     

    « « Apprendre à lire à l’école primaire », séminaire national de la Direction de l’enseignement scolaire (mars 2006)L'apprentissage de la lecture à l'école primaire, rapport n° 2005-123 réalisé en novembre 2005 par l’Observatoire national de la lecture et l’Inspection générale de l'Éducation nationale. »