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DYSLEXIE, DYSORTHOGRAPHIE ET DYSCALCULIE : DROIT DE RÉPONSE ET DÉBAT AUTOUR DU RAPPORT DE L'INSERM
L'Expresso du 21 février 2007 : L'Inserm encore sur les troubles de l'apprentissageQuelques mois après le sulfureux rapport de l'Inserm sur "le trouble des conduites", qui avait abouti à une pétition monstre et à son enterrement, l'Inserm revient sur le champ éducatif avec une nouvelle étude sur "Dyslexie, dysorthographie et dyscalculie" présentée, très prudemment, comme un simple "bilan des données scientifiques". Pourtant, encore une fois, rien n'est moins objectif que ce texte qui associe une grande rigueur scientifique à un éclairage singulier et borné. [...]Le message de F. RamusL'Expresso du 21 février a rendu compte du rapport de l'Inserm sur la dyslexie. Franck Ramus, un des auteurs du rapport, nous a fait parvenir ce droit de réponse que nous publions volontiers. Nous espérons ainsi ouvrir un débat autour de ces questions importantes pour l'Ecole. [...]La réponse de F. Jarraud (pour le Café)Le Café pédagogique a régulièrement rendu compte des travaux de F. Ramus sur la dyslexie. Ceux-ci nous semblent tout à fait importants et nous avons invité les enseignants à les lire. Nous ne les sous-estimons pas du tout.[...]Une réaction surprenantePar Liliane Sprenger-Charolles et Jean-Emile Gombert, membres du groupe d’experts.Dyslexie, dysorthographie et dyscalculie : La réponse de F. Ramus"L'Expresso du 21 février 2007 a présenté l'Expertise collective de l'INSERM « Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie : Bilan des données scientifiques » de manière tendancieuse en commettant des erreurs factuelles sur le contenu de l'expertise, et en mettant injustement en cause les intentions des experts. Nous vous prions de porter à la connaissance de vos lecteurs le présent droit de réponse.
- L'article du Café Pédagogique entretient délibérément la confusion entre difficulté en lecture et dyslexie. Pourtant, le premier passage de l'Expertise cité indique bien qu'on ne peut assimiler l'une à l'autre. L'Expertise estime d'ailleurs que « les enfants atteints de dyslexie représenteraient selon certains auteurs environ un quart des enfants présentant des difficultés en lecture » (p. 700). Et précise à maintes reprises qu'elle n'a pas pour ambition de traiter l'ensemble de l'échec scolaire, mais seulement la petite partie qui est explicable par des troubles spécifiques. On ne peut donc vraiment pas accuser l'Expertise de vouloir une « pathologisation de l'échec scolaire » dans son ensemble.
- La faiblesse de l'argumentation est critiquée à plusieurs reprises. Il est important de préciser que le document électronique actuellement en circulation n'est que la Synthèse de l'Expertise. La Synthèse ne contient pas d'argumentation, elle ne fait qu'énoncer les principales conclusions. Mais elle est précédée d'une très importante partie d'Analyse (c'est pourquoi elle ne commence qu'à la page 635), qui, elle, contient la description et l'analyse précise de toutes les données pertinentes, ainsi que l'argumentation conduisant aux conclusions. Si des conclusions de la Synthèse paraissent contestables, il serait utile, avant de prononcer un jugement définitif, de se reporter aux chapitres pertinents de l'Analyse, afin de prendre connaissance des données empiriques et de l'argumentation.
- Même sans faire l'effort de consulter l'Analyse, une lecture moins superficielle de la Synthèse aurait permis à l'auteur d'éviter quelques interprétations hâtives et arguments sans objet. Par exemple, la lecture des pages 680-683 lui aurait indiqué que l'hypothèse d'une influence génétique sur la dyslexie n'est pas basée simplement sur la nature familiale du trouble, mais sur un ensemble de données particulièrement riche et cohérent, incluant des dizaines d'études de jumeaux, des études de liaison chromosomique, des études d'association génétique aboutissant à l'identification de quatre gènes associés à la dyslexie, et des études de neurogénétique montrant le rôle de mutations de ces gènes dans le développement des particularités cérébrales observées chez les personnes dyslexiques. On ne peut donc pas balayer l'hypothèse génétique d'un revers de main en raillant la composante familiale ; encore faut-il proposer une hypothèse alternative qui soit à même de mieux expliquer l'ensemble des données des études sus-citées. Il en est de même de toutes les conclusions de l'Expertise.
- L'Expertise n'ignore pas du tout les « facteurs sociaux, scolaires et pédagogiques des difficultés scolaires », et n'écarte pas « toute causalité scolaire ou pédagogique aux difficultés des élèves ». Elle admet au contraire que ces facteurs jouent un rôle essentiel dans l'échec scolaire en général, mais constate qu'ils ne constituent pas la cause première de la dyslexie, qui ne concerne, rappelons-le, qu'environ un quart des élèves en échec. Par ailleurs, elle indique bien que l'influence des facteurs génétiques est loin d'être déterministe. Seule une totale incompréhension des mécanismes biologiques peut conduire à penser que les facteurs sociaux ou les pratiques pédagogiques sont sans influence sur les troubles d'origine biologique.
- L'Expertise ne déresponsabilise pas la société et l'Ecole de la genèse de l'échec scolaire. Elle les déresponsabilise de la genèse des troubles spécifiques des apprentissages. Elle précise par ailleurs que même si l'Ecole n'est pas responsable de ces troubles, cela ne la dispense pas de les prendre en compte, notamment en mettant en place des programmes de prévention qui peuvent en atténuer les symptômes et les conséquences, et en proposant des aménagements adéquats pour les élèves qui souffrent d'un réel handicap.
- L'INSERM n'a écarté personne du groupe d'experts. Il a sélectionné les experts sur la base de leur expertise internationalement reconnue, ce qu'il a mesuré concrètement par leur publications sur le sujet de l'expertise dans les revues scientifiques internationales (toutes disciplines confondues, incluant les sciences sociales et de l'éducation). Il s'avère que l'INSERM n'a trouvé aucun sociologue ou pédagogue français ayant publié sur la dyslexie, la dysorthographie ou la dyscalculie dans les revues scientifiques internationales. En revanche, il a invité Philippe Meirieu, spécialiste de sciences de l'éducation, à réagir sur l'Expertise. Sa note de lecture critique est annexée à l'Expertise, ainsi que la réponse des experts au point de vue ainsi exprimé.
Plus généralement, dans un but purement rhétorique, l'article du Café Pédagogique attribue à tort aux experts des intentions et des pensées qui ne sont pas les leurs : pathologisation des difficultés scolaires, ignorance délibérée des facteurs non biologiques, déresponsabilisation, vision simpliste des chemins d'apprentissage, sans parler de l'adhésion à une école de pensée « perverse » (1) .
Enfin, il est étonnant que le Café Pédagogique promeuve auprès des enseignants une attitude anti-scientifique. En somme, il leur dit : « Peu nous importe l'accumulation, jour après jour, de données scientifiques toujours plus complètes, toujours plus cohérentes et convaincantes, nous refusons d'en prendre connaissance car notre vision de l'enfant et des apprentissages est à jamais immunisée contre les données empiriques objectives. Nous continuerons donc coûte que coûte à croire ce que nous avons toujours cru. » N'y a-t-il pas là tous les symptômes d'une idéologie ? N'est-il pas inquiétant de véhiculer un tel message aux enseignants chargés d'éveiller en nos enfants la rationalité, l'esprit critique et la démarche scientifique ?
Plusieurs des experts co-auteurs du rapport ont récemment protesté contre la déformation par le pouvoir politique du discours scientifique sur l'apprentissage de la lecture ; le Café Pédagogique s'en était alors félicité. La même rigueur conduit aujourd'hui ces experts à refuser que leurs propos soient caricaturés. La recherche scientifique s'accommode mal des dogmatismes, de tous les dogmatismes.
Les auteurs de l'expertise collective de l'INSERM « Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie : Bilan des données scientifiques »
(1) La France compte, dans ce courant de recherche, un ancêtre de renom : Henri Wallon, philosophe, psychologue et psychiatre, qui a créé (en 1925) un laboratoire de « Psychobiologie de l'enfant ». Titulaire de la chaire de « Psychologie et éducation de l'enfance » au Collège de France (1937 à 1947), il a fondé, avec Hélène Gratiot-Alphandéry, la revue « Enfance » (1948). Henri Wallon a toujours mis en avant les interrelations entre facteurs biologiques, sociaux et psychologiques dans le développement. La France doit également à ce chercheur un plan qui avait pour visée de moderniser et de démocratiser l'école (le plan « Langevin-Wallon », 1945-1946).
Le Café pédagogique a régulièrement rendu compte des travaux de F. Ramus sur la dyslexie. Ceux-ci nous semblent tout à fait importants et nous avons invité les enseignants à les lire. Nous ne les sous-estimons pas du tout.
Pour autant nous avons un désaccord fondamental avec F. Ramus. Ce qu'il nous dit c'est qu'une fois que les neurosciences ont parlé, les enseignants doivent non seulement se taire mais appliquer une pédagogie unique fruit des travaux de laboratoire. Or pour nous la science n'est pas là pour clore les débats mais au contraire pour les nourrir.
Les travaux des auteurs du rapport ne doivent assurément pas être négligés et ils sont porteurs d'enseignement dans le cadre précis qui les définit. Pour autant ils ne nous paraissent pas répondre d'une part à la variété des cas évoqués dans le rapport (va pour la dyslexie, mais la dysorthographie et de la dyscalculie restent encore à définir précisément), d'autre part à la variété des situations que rencontre le maître en classe face aux difficultés d'apprentissage. Face à un élève qui fait des fautes d'orthographe ou qui a du mal à calculer, il y a mille facteurs qui peuvent expliquer cela et mille approches pédagogiques possibles. Nous ne reconnaissons pas aux neurosciences le monopole de la parole et de la méthode. C'est ce que nous avons dit en estimant que ce rapport associait "une grande rigueur scientifique et un éclairage borné". Nous avons montré que certains raisonnements portés dans le rapport, quand ils quittaient le champ des neurosciences, étaient peu rigoureux.
Il nous semble que les sciences sociales, les sciences de l'éducation ont aussi leur mot à dire dans ce débat sur les apprentissages et qu'elles ont été écartées du rapport sans motif objectif. C'est particulièrement fâcheux pour un rapport que l'on présente comme un "bilan". Il s'agit sans doute d'un bilan pour les neurosciences. Et il ne faut pas le sous-estimer. Pas d'un bilan à propos des troubles d'apprentissage.
Parce que les troubles qui sont ici évoqués touchent des milliers d'enfants, parce c'est la mission d'un enseignant que de chercher le chemin qui peut aider chacun de ses élèves, nous espérons ouvrir ici un débat sur ces troubles d'apprentissage. Et nous invitons les spécialistes de la dyslexie, de la dysorthographie et de la dyscalculie à y participer.
Une réaction surprenanteVotre réaction à la réponse qui vous a été adressée par Franck Ramus (au nom de l'ensemble des experts de l'expertise collective INSERM) à propos de votre présentation du rapport "Dyslexie, dyscalculie, dysorthographie" est surprenante. En effet, contrairement à ce que vous laissez sous-entendre, ces experts sont issus de différentes disciplines: psychologie cognitive, psychologie du développement, neuropsychologie de l’enfant, pédiatrie, neurosciences, psycholinguistique et linguistique. De plus, encore contrairement à ce que vous affirmez, le bilan n'a pas écarté les travaux émanent des sciences sociales et des sciences de l’éducation au bénéfice de ceux des neurologues et cogniticiens. Certains travaux issus de la sociologie et, surtout, de pédagogie sont présentés dans l'expertise. Par exemple, l'introduction de la partie "Troubles spécifiques des apprentissages" (pp. 151-156) comporte une synthèse d'études de l'INSEE, de l'OCDE et du Ministère de l'éducation sur les difficultés de lecture, en général (ce qui n'était pas l'objectif du rapport). De même, on trouve dans ce rapport une synthèse de travaux sur l'incidence des méthodes sur l'apprentissage de la lecture (pp. 61-67) et un bilan d’études de prévention en milieu scolaire (pp. 573-582). Ce ne sont là que des exemples.
Vous avez aussi écrit, dans votre première présentation de l’expertise collective INSERM, ne pouvoir accueillir que défavorablement les recommandations des auteurs, à savoir que "La diffusion la plus large possible des avancées scientifiques est importante auprès de tous les professionnels, médicaux, paramédicaux et de l’Éducation nationale, qui ont en charge les enfants présentant des troubles spécifiques d’apprentissage, afin d’assurer tout à la fois le dépistage le plus précoce des enfants à risque et permettre la mise en place, sans tarder, de mesures visant à réduire leur déficit". Vous avez alors ajouté que "les simplifications qu'entraîneraient une diffusion massive de théories FUMEUSES aboutirait plutôt à une régression sociale et pédagogique sans précédent. Si mes élèves faibles sont "malades" à quoi bon inventer de nouvelles approches dans ma classe".
Ce passage laisse entendre que le rapport nierait l'influence de l'environnement et de l'action pédagogique sur la réussite scolaire. Cette allégation est doublement fausse. En effet, d'une part le rapport souligne que seul environ un quart des enfants en difficulté d'apprentissage souffre de troubles spécifiques dont l'origine neurobiologique est scientifiquement démontrée; d’autre part, même en cas de troubles spécifiques, le rapport insiste sur l'importance des facteurs environnementaux. Quant à vous, pensez-vous réellement que le rôle de l'environnement puisse expliquer certaines difficultés sévères et spécifiques d'apprentissage qui se retrouvent même chez des enfants intelligents et issus de milieux plutôt favorisés? Avez-vous aussi oublié que celui que l'on peut citer comme étant un des fondateurs des sciences de l'éducation, Henri Wallon, était philosophe, psychologue et docteur en psychiatrie ? Henri Wallon a toujours mis en avant les interrelations entre facteurs biologiques, sociaux et psychologiques dans le développement de l’enfant. Il a créé (en 1925) le laboratoire de "Psychobiologie de l’enfant" et a été titulaire de la chaire "Psychologie et Education de l’enfant" au Collège de France.
Le plus important de notre propos, au moins pour les enseignants, est ce qui est préconisé dans le rapport pour la première prise en charge. Nous soulignons en effet qu’il faut mettre en place d’abord, pour les enfants en difficultés, une réponse pédagogique, sans aucune médicalisation. En effet, d'après les études existantes, un certain nombre de difficultés des apprentissages scolaires peuvent être surmontées grâce à une réponse pédagogique appropriée.
Si, dans une démocratie, la liberté de parole est essentielle, ce principe doit s’accompagner de celui de responsabilité, c’est une question d’éthique. Dans le débat en question, il est crucial que tous les partenaires soient informés le plus correctement possible. Ce qui a été dit à ce sujet par le Directeur de la Recherche (Jean-Marc Monteil) lors du séminaire national "Apprendre à lire à l’école primaire" (9 mars 2006) est crucial. Nous reprenons ci-dessous une partie de ses propos, tels qu’ils ont été diffusés par le "Café pédagogique": Il y a une responsabilité des scientifiques à ne pas confondre la science avec l’impressionnisme. Il faut savoir séparer ce qu’on avance en l’ayant confronté à l’épreuve des faits… Cela vaut pour toutes les sciences : avoir l’exigence éthique de ne pas confondre l’opinion avec le début de preuve… Si ces choses là étaient installées, qu’on liait les interrogations de la pratique avec la science dans la formation, on serait débarrassé de la "saturation idéologique". Nous avons tous une responsabilité individuelle là-dedans, à quelque niveau que nous soyons."
Liliane Sprenger-Charolles et Jean-Emile Gombert
Membres du groupe d’experts
« Anne-Marie Chartier (philosophie de l'éducation, "L'école et la lecture obligatoire")Franck Ramus : la lecture entre apprentissage et enseignement (19 mars 2016) »