• Lecture : Le rapport Goigoux vu de la classe (Café pédagogique, 16/09/2015)

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    Lecture : Le rapport Goigoux vu de la classe 

     

    Directrice d'école dans un quartier populaire, Véronique Vinas a un long passé de professeur des écoles en élémentaire et en maternelle. Elle réagit aux premières informations du rapport Goigoux sur l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Rôle des manuels, compréhension de l'écrit, production d'écrit... Le rapport vu de la classe...

     

     Cette étude longitudinale sur des échantillons représentatifs est un document unique et extraordinaire (du point de vue de la somme de données recueillies, il s'agit d'une base de données incroyable...). Le fait qu'il puisse servir à couper l'herbe sous le pied de polémistes, dogmatistes  de tous poils est heureux. L'apprentissage de la lecture-écriture a été l'objet dans le passé d'une vague de désinformation, d'intoxication très déstabilisante dans le monde enseignant et sa pseudo analyse a servi des intérêts très douteux et réactionnaires.

     

    Au-delà des méthodes, il est très intéressant de voir que sont analysées des pratiques effectives, dans leur variété et diversité. C'est l'ordinaire de la classe qui est décrit, analysé grâce une grille très pointue et complète. Cela devrait constituer, je l'espère,  à la fois pour les enseignants sur le terrain mais également pour les formateurs (ESPE, Maîtres-formateurs, CPC...) et pour ceux qui rédigent les livrets d'accompagnement des programmes des indications précieuses sur ce qui fonctionne, ce qui dans le détail, dans l'ordinaire de la classe, participe de la réussite des élèves ou ...non.

     

    Que l'école ne prenne pas suffisamment en charge les processus d'acculturation à l'écrit dans les apprentissages n'est pas nouveau. Que cette étude permette d'interroger la nature de cette acculturation et de dégager les "gestes professionnels" acculturants est essentiel. On aurait envie de dire, enfin !

     

    Quelques remarques plus précises sur les premiers résultats.

     

    Je suis peu étonnée dans l'ensemble par certains constats. Par contre le fait que 10 à 30 % des élèves ne disposent pas des compétences attendues à la fin de l'école maternelle est préoccupant. L'école maternelle est donc bien la première école, essentielle.

     

    Le grand apport de l'étude c'est ce qui a trait à la compréhension de la langue écrite (fortement corrélé  avec l'appartenance sociologique). Cela inquiète avec par exemple 30% d'échec à la compréhension des textes entendus. Cela veut dire que le "bain de langage" et la lecture d'albums par l'adulte, même régulière, ne suffisent pas.

     

    Il semblerait que la compréhension ne soit pas une cible d'enseignement jugée prioritaire... C'est pourtant un domaine extrêmement discriminant où l'école n'a que rarement un rôle compensatoire.   Hélas... C'est un enseignement difficile à concevoir, à réaliser. Compréhension fine d'albums de littérature de jeunesse, débat littéraire, débat interprétatif, travail sur les inférences, repérage des références culturelles... La construction d'un patrimoine littéraire dès la petite section est indispensable... Mais les enseignants sont peu outillés. Il y a donc là un champ de travail énorme... Je ne suis pas surprise par ce constat, ni par ailleurs par le fait que le travail de compréhension de texte soit mis entre parenthèse au CP...

     

    Par contre, ce qui m'étonne un peu c'est que le manuel ait peu d'importance. Entre Léo et Léa et Ribambelle, il me semblait qu'il y avait des différences notables notamment en ce qui concernait la compréhension de texte... Cela vient conforter l'idée qu'il n'y a pas d'effet  manuel mais que les pratiques effectives d'enseignement de la lecture sont diverses avec des composantes didactiques et pédagogiques extrêmement variées... De la même façon, c'est intéressant  de se rendre compte que les enseignants n'utilisant pas de manuel (et ils sont plus nombreux que ce que j'imaginais), obtiennent les mêmes résultats que les autres (ce dont je ne doutais pas, puisque que cela a été mon cas pendant les quelques années où j'ai enseigné en CP).

     

    L'étude montre un léger effet négatif pour les élèves initialement faibles scolarisés dans des classes qui utilisent un manuel avec approche intégrative en comparaison avec ceux qui utilisent un manuel centré sur le code. Cela m'étonne un peu et la recherche d'interprétation m'intéresse vraiment. Qu'en est-il de ces élèves à la fin du CE1 ?

     

    Je suis peu surprise de ce qui est dit autour du temps passé au décodage (ce qui a peu d'effet sur l'acquisition du code...). Par contre le temps passé à l'encodage a un effet positif pour les élèves faible au code, j'en suis depuis longtemps persuadée,  ayant fait écrire mes élèves quasiment  tous les jours lorsque j'avais une classe de CP. Que l'encodage soit réduit aux seules activités de dictée, m'étonne un peu. Rien sur la production d'écrit... qui a pourtant beaucoup à voir avec la construction d'une culture de l'écrit (fréquentation de la littérature de jeunesse).

     

    Véronique Vinas

     

     

     

     

     
    Par fjarraud , le mercredi 16 septembre 2015.

    Commentaires

     
    • jackd, le 16/09/2015 à 18:54
      Ce n'est pas "vu de la classe", c'est un point de vue aussi étroit que la vue sur la mer depuis une fenêtre à 500 m de la plage, entre deux immeubles.

      Répéter "acculturation" pour faire genre, de même qu'opposer "encodage" et "décodage" pose la personne... du mauvais côté : celui du verbiage.

    • Jean Maurice, le 16/09/2015 à 15:46

      " Le grand apport de l'étude c'est ce qui a trait à la compréhension de la langue écrite(fortement corrélé  avec l'appartenance sociologique). Cela inquiète avec par exemple 30% d'échec à la compréhension des textes entendus. Cela veut dire que le "bain de langage" et la lecture d'albums par l'adulte, même régulière, ne suffisent pas." (sic)

      J'adore ce type de remarque sans fond. Le bain de langage : il fonctionne et tout le monde ne cesse de l'affirmer en disant que le milieu socio culturel influe sur la qualité du langage ou de la compréhension. Dites plutôt : l'école ne sait pas faire fonctionner un véritable bain de langage aussi bien que dans les familles aisées !
      Combien de temps consacrez-vous à parler à vos élèves? Seuls, en petits groupes, en classe entière, dans les couloirs, à l'accueil, aux toilettes, en sport, en activité, pendant la récréation???
      Avant je faisais classe selon les normes insinuées à l'Ecole Normale. Et je parlais de temps à autres, laissant la place au discours des autres, cherchant le silence pour la concentration nécessaire au travail écrit... Mais ça, c'était avant.
      Aujourd'hui, je parle toute la journée et je crois que je parle plus à mes élèves qu'à mes propres enfants qui n'ont pas appris autrement. C'est pas parce que je suis prof que je fais des cours à la maison!!!! Non mais ça va pas la tête!
      Les lectures d'albums n'y suffisent pas... Mais au fait, combien d'album ( je l'ai mis au singulier à dessein) lisez-vous dans une journée? moins d'un, 1, 5, 10? C'est très différent tout cela. Sauf si l'on se réfère toujours à la pratique très scolaire, avec la jolie fiche de préparation dûment éditée puis presque recopiée sur le cahier journal pour faire baver de plaisir son lecteur trisannuel d'inspecteur, avec les jolis objectifs (inaccessibles à la moitié des élèves)... J'en connais des classes, où l'on n'étudie qu'un album par semaine en le triturant dans tous les sens, en le raccrochant de force à toutes les activités par souci de "cohérence", servi à toutes les sauces jusqu'à ce que les enfants le vomissent!!! C'est cela que vous appelez lire des albums?
      Personnellement, j'en lis au moins deux ou trois par jour. Je les interconnecte plus loin dans le temps. Je laisse mes élèves jouer avec les livres parce que j'en ai plusieurs centaines dans ma classe (je préfère acheter des albums que des manuels...). Je considère que c'est une relation très différente à la lecture et au langage.

       

    • Jean Maurice, le 16/09/2015 à 15:22
      Moi, je suis très peu surpris qu'on ne trouve pas de différences significatives en terme de résultats selon les différentes méthodes ou manuels. J'avais déjà rendu un rapport à mon inspection il y a plus de dix ans qui expliquait tout ça, mais évidemment sans caution universitaire... Simple approche rhétorique et logique.
      En fait, ils sont tous à peu près aussi médiocres, ces manuels. Le rapport Goigoux, plutôt que de mettre un terme à la querelle entre les tenants des diverses approches, aurait du conclure que si rien de sort du lot c'est bien que tout est mauvais... Ou alors tout est bon, puisque tout est pareil!!!! Mais on s'en serait aperçu non???
      La réponse est pourtant simple, aucune méthode ne prend soin d'expliquer ce qu'est la procédure de décodage. Toutes ne font que parcourir, selon des progressions séquentielles et empiriques, l'ensemble des données graphoponémiques selon un mode cumulatif, sans différenciation réelle et en étalant beaucoup d'activités chronophages à faible rendement (discrimination auditive, habiletés phonologiques douteuses parce que ne débouchant pas sur des règles mais seulement sur des habitudes ou une vague sensibilisation...). Ceux qui n'utilisent pas de manuels, font souvent à peu près la même chose mais en utilisant des supports autoproduits et en se laissant davantage de liberté dans l'étude des textes. Ils explorent des champs culturels différents, mais au fond consacrent autant de place à des activités improductives.
      Continuons donc à débattre sur des pratiques inefficaces mais tellement bien ancrées dans les mentalités qu'on n'est plus capable aujourd'hui d'essayer de penser autrement. La grande majorité des pédagogues réels (actifs) ou proclamés (observateurs, autiorités), perpétue la belle tradition de la pédagogie déterministe par laquelle on croit qu'il suffit d'enchaîner de belles séquences avec des objectifs ponctuels clairement définis et calibrés dans la jolie progression affichée sur le mur du fond, pour assurer à chacun une acquisition pas à pas sans faille... Comme disent les jeuns, mdr et ptdr!!!! Continuez donc à utiliser ces méthodes qui vous entraînent inexorablement aux antipodes de la différenciation en excluant de fait toute possibilité de laisser le temps nécessaire à chacun pour enregistrer, interpréter et utiliser correctement les données que diffusent l'enseignant bien intentionné, mais fort peu lucide.
      Pour illustrer ma défiance envers ces méthodes, essayons de transposer l'organisation des apprentissages
      à un sport. Tiens, le football par exemple. Alors cela donnerait : on fait des touches la première semaine (c'est pas trop dur, c'est à la main! Et en plus on peut tout de suite définir les limites du terrain). La deuxième semaine, on fait des passes du pied droit. La troisième, du pied gauche (ouf c'est dur... on doublera cette séance). La cinquième, des têtes... Et ainsi de suite jusqu'à la fin de l'année, s'il reste encore des joueurs qui acceptent cette planification inepte. Et croyez-vous vraiment qu'un apprenti footballeur réussirait à maîtriser son sport ainsi... Imaginez-donc maintenant ce que peut endurer un enfant qui na pas embarqué dans le train de la méthode de lecture et à qui on demande vainement de sauter sur chaque wagon en marche passant chaque jour devant lui. Il perd l'essentiel de son temps et de son enthousiasme. (Je ne sais plus quel auteur avait écrit sur ce site qu'un enfant de CP ne passait véritablement que sept petites minutes par jour à faire de la lecture).
      Mais à l'école, il semblerait que les pédagogues se soient mis d'accord pour que cette façon de penser l'apprentissage soit la norme.  

      Y a-t-il des pratiques efficaces? Oui heureusement. Au milieu de tout cela, il y a bien des activités qui aident les enfants à progresser sans être dispendieuses en argent comme en temps. Et je sais que beaucoup d'enseignants de CP les ont repérées et les emploient sans réellement s'occuper de savoir si leur manuel les préconise vraiment. Donc, il s'en sortent plus ou moins bien, peu importe le manuel - il l'outrepassent le plus souvent - , selon leur engagement, leur charisme, leur effectif et tant d'autres variables.
      Oui, ils travaillent le code et cela finit par payer. Je peux bêcher mon jardin avec une fourchette. C'est possible aussi... mais ça prendra du temps. Le problème est alors qu'il ne reste que peu de temps et surtout d'énergie aux enfants pour se consacrer à la compréhension. Dommage. D'autant plus que paf, l'institution revient à la charge avec ses méthodes éculées d'organisation saucissonnée des notions : une progression de compréhension, des séquences dédiées à la compréhension, des objectifs ponctuels et communs à tous. 
      Mais avez-vous déjà eu besoin d'expliquer ce qu'était la compréhension de l'oral ou de l'écrit à un enfant " de milieu favorisé". Non, il comprend à peu près tout. Bon je ne dis pas qu'il ne faille l'éclairer sur certains sujets (la ponctuation, l'organisation des écrits...), mais globalement, pas de problèmes. Il faut alors se demander si ces enfants de "bonnes familles" ont eu la chance de recevoir, à domicile, un enseignement spécifique et personnalisé par l'intermédiaire de manuels scolaires bien pensés. Re mdr et ptdr.
      La compréhension se construit avant tout par la culture, cela prend du temps (mais c'est gérable, puisque les "bonnes familles" y parviennent  et ce, sans se poser de questions pédagogiques) et ne se quantifie pas en emploi du temps et en volumes horaires serrés, cela ne nécessite pas forcément d'objectif ponctuel, de cahiers, de fichiers, de notes et de commentaires ou d'affichages ostentatoires. Cela ne se décrète pas, cela se vit. Arrêtons donc de demander des justificatifs d'acquisition à chaque heure de cours. Holà, mais je m'écarte de la lecture. Non! Arrêtons aussi de construire des méthodes (pseudométhodes) basées sur ce type de déterminisme si éloigné de la réalité d'un groupe d'élève hétérogène qui font perdre beaucoup de temps  à tout le monde juste pour remplir des cahiers que l'on jettera à la poubelle six mois plus tard.
    • Viviane Micaud, le 16/09/2015 à 07:40
      L'étude n'a pas porté sur les effets à moyen terme, quand la cohorte arrive en 4ème. Il est vrai qu'ils n'en n'avaient pas le temps.

       L'essentiel est là, il faut commencer à apprendre le codage. Et la réussite se fait par l'utilisation équilibrée d'un ensemble d'approches. Les moyens pour permettre de compenser lors que l'enfant connait peu de mots sont insuffisants.

     

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